Plaidoyer pour Georges-Vanier

Au début septembre, dans le cadre de la présentation de son budget 2012, qui comprenait de nombreuses coupures, l'arrondissement du Sud-Ouest a annoncé un "nouveau mandat jeunesse pour la bibliothèque Georges-Vanier."

Cette annonce s'est faite sous la forme d'un beau communiqué où tout est présenté d'une façon très positive: on y parle de “choix éclairé,” de “spécialisation,” de “collection bonifiée” par de “nouveaux espaces et services,” de “réorganisation” pour “mieux desservir la clientèle jeunesse” en “assurant de maintenir un service de qualité,” etc. Et on rappelle que, de toute façon, le Sud-Ouest avait proportionnellement trop de bibliothèques pour la population desservie! Tout ça c'est de la foutaise.

Ce qu'on fait beaucoup d'efforts pour ne pas dire c'est, qu'en fait, on annonce la FERMETURE pure et simple de la section adulte de la bibliothèque Georges-Vanier.

Alors que d'autres arrondissements investissent des millions pour construire de nouvelles bibliothèques et étendre l'offre de service, il ne fait pas de sens que le Sud-Ouest, lui, en ferme une, même si ce n'est qu'une fermeture partielle.

Ceci fait particulièrement mal dans un quartier défavorisé comme le Sud-Ouest, où il est important d'offrir un maximum de supports et de services culturels. Dans un cas comme ça, trop est mieux que pas assez. Priver les gens de ce quartier des services essentiels auxquels ils sont habitués et auxquels ils ont droit serait presque criminel! Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de rappeler l'importance tant culturelle, sociologique qu'économique d'une bibliothèque de quartier.

Cette fermeture représenterait une diminution de service significative pour la population adulte du quartier, qui constitue la majorité des usagers (il y a deux fois plus d'adultes - dont près de 20% sont âgés de plus de soixante ans - que de jeunes qui fréquentent Georges-Vanier). Deux groupes d'âge seront particulièrement touchés: les adolescents / jeunes adultes (les 14 à 18 ans) et les personnes âgées. Ces deux groupes sont ceux qui sont le moins susceptibles de faire le trajet de 1.5 kilomètre pour se déplacer à la bibliothèque la plus proche. L'un, parce qu'étant en transition de la bibliothèque jeune, les ados ne se sentiront pas à l'aise dans un nouvel environnement, et l'autre parce que les personnes âgées ont souvent des problèmes de mobilité. Il serait beaucoup plus important d'offrir des services aux adolescents et jeunes adultes afin de les conserver comme usagers, alors que la bibliothèque Saint-Henri, en tant que bibliothèque familiale, offre déjà d'excellents services étendus à la clientèle jeunesse. De toute façon, la proportion de jeunes ménages avec enfants n'est pas très grande dans le quartier (même en tenant compte du développement de Griffintown).

Le changement de vocation de la bibliothèque est présenté comme une économie nécessaire, mais il est clair qu'il n'y aura pas vraiment beaucoup d'argent économisé en fermant la section adulte. Si l'édifice était complètement fermé, l'arrondissement sauverait le loyer, les frais de chauffage, etc., mais ce n'est pas le cas puisque que l'édifice ne fait que changer de vocation. Et il n'y aura pas d'économie non plus sur les frais de roulement (achat de nouveautés, etc.) puisque ceux-ci sont assumés en majorité par le service des bibliothèques de la ville et non par l'arrondissement. Il s'agit ici d'une économie de bout de chandelles qui sera largement annulée par tous les coûts qu'implique ce changement de vocation (mettre en boîte et déménager la collection adulte, sortir l'ancien mobilier, descendre le mobilier et la collection jeunesse du premier étage au rez-de-chaussée, réaménager le premier étage en salles d'activités et bureaux, etc.). Si c'était vraiment une question d'argent, des économies pourraient être faites d'une autre façon (comme fermer une ou deux journées par semaine, optimiser les heures d'ouverture selon l'achalandage, réduire les achats, etc.).

La fermeture de la section adulte pourrait aussi entraîner la perte de quelques emplois (de toute évidence la moitié d'une bibliothèque nécessite moitié moins d'employés). L'arrondissement a toutefois plus ou moins promis d'essayer de relocaliser les employés surnuméraires dans d'autres succursales. Si cela est possible (mais il semble que les autres bibliothèques de l'arrondissement aient déjà tous les employés dont ils ont besoin, sauf peut-être pour des remplacements ponctuels) alors l'arrondissement ne ferait même pas d'économie de salaires en coupant ces postes à Georges-Vanier.

Les services de base aux usagers adultes (réservation, retour universel) continueront d'être offert, certes, mais les usagers viennent à la bibliothèque pour bien plus que cela: beaucoup viennent à Georges-Vanier pour y feuilleter les livres, lire les journaux, utiliser l'internet, avoir un service personnalisé de qualité (comme des suggestions de lecture), mais d'abord et avant tout pour profiter de la tranquillité des lieux. Ces services ne seront plus offerts avec la nouvelle vocation jeunesse et une bibliothèque jeunesse est un lieu bruyant et mouvementé - alors vous pouvez dire adieu à lire votre journal paisiblement!

Il est dit que la collection adulte sera répartie dans les autres bibliothèques de l'arrondissement, mais celles-ci sont déjà à l'étroit dans leurs locaux (sauf à Saint-Henri). Ce qui veut dire que la collection adulte de Georges-Vanier sera probablement en grande partie élaguée (c'est-à-dire envoyée à la vente des Amis des Bibliothèques). Les investissements importants (en provenance des taxes des citoyens) qui ont été faits pour acheter cette collection (ainsi que le mobilier de la section adulte) l'auront été en pure perte si cette collection est dilapidée. Ce serait un gaspillage honteux.

Si des économies pouvaient être faites autrement, le service bonifié et le développement que l'on veut réaliser avec la nouvelle vocation pourrait très bien l'être même en gardant la section adulte ouverte. De plus, si l'addition de locaux pour des activités est un grand atout, il n'est pas sûr qu'une section jeune spécialisée offrirait vraiment plus d'espace à la collection jeunesse car les services de base aux adultes prendraient tout de même de la place (actuellement les réservations adultes prennent déjà beaucoup de place, et en prendront encore plus si les gens n'ont plus de livres à feuilleter et doivent réserver tous les titres qu'ils empruntent). Une section jeunesse déménagée au rez-de-chaussée offrirait donc probablement un espace réduit comparé à la situation actuelle...

Il est vrai que d'autres bibliothèques jeunes spécialisées existent (Hochelaga, Salaberry) mais elles ont été conçues ainsi dès le départ et desservent des clientèles très précises. Il ne faut pas oublier que les enfants ne viennent jamais seuls à la bibliothèque. Que feront les parents pendant que leurs enfants se cherchent des livres? Les jeunes familles sont généralement fort occupées et n'ont pas le luxe de faire deux visites en bibliothèque: l'une pour les enfants à Georges-Vanier et une, dans une autre succursale pour les parents. S'ils doivent (et peuvent) se déplacer, ils feront simplement une seule visite dans une succursale qui offre des services aux deux clientèles. Certains usagers ont dit que, s'ils devaient se déplacer, ils iraient plutôt à la Grande Bibliothèque (BANQ). De toute évidence, s'il y a un changement de vocation, la fréquentation des usagers à Georges-Vanier en souffrira.

Finalement, la bibliothèque Georges-Vanier telle qu'elle existe en ce moment, a une grande importance historique et c'est pourquoi il est essentiel de la préserver dans son intégralité. Petit rappel de son patrimoine historique et architectural: l'édifice, construit en 1904 pour abriter l'hôtel de ville de la Cité de Sainte-Cunégonde et la caserne de pompier no 22, abritera au deuxième étage dès 1905 la bibliothèque de Sainte-Cunégonde, la première bibliothèque francophone de Montréal (en fait du Canada et possiblement d'Amérique du Nord). Elle ferme en 1918 à cause de la guerre pour ouvrir à nouveau en 1947 sous le nom de bibliothèque Workman, la toute première succursale des bibliothèques de Montréal. Après la fermeture de la caserne de pompier en 1984, la bibliothèque prend plus d'importance et est rebaptisée Georges-Vanier, en l'honneur du premier gouverneur général francophone qui était originaire du quartier Petite-Bourgogne. Après avoir survécu à une première tentative de fermeture en 1995 (grâce aux efforts de la population du quartier), l'édifice est finalement restauré à grands coûts (4.5 millions de dollars) en 2004 et prend l'apparence qu'on lui connaît aujourd'hui. Durant toutes ces années, la bibliothèque Georges-Vanier a toujours eu une vocation tant adulte que jeune et changer cela porterait atteinte (et serait une insulte) à cette grandiose histoire et à tous les efforts qui ont été faits par le passé pour faire de la bibliothèque Georges-Vanier ce qu'elle est maintenant: la plus belle et la plus agréable des bibliothèques de Montréal.

Voici donc pourquoi la section adulte de la bibliothèque Georges-Vanier doit rester ouverte. La décision de la fermer est, selon toute apparence, irréfléchie et irresponsable (et faite sans la moindre consultation publique). Cela ne ferait aucun sens (à moins, bien sûr, que l'arrondissement ait des motifs ultérieurs et secrets). N'oublions pas que, tant que la collection adulte n'est pas démontée et mise en boîtes, il est encore temps de revenir sur la décision. Alors S.V.P., messieurs les élus, gardez la bibliothèque Georges-Vanier ouverte dans son intégralité! Ou le prix social - et politique - à payer pourrait en être très élevé.

(Ce texte a été écrit par eratos10 en rassemblant les témoignages des usagers et des employés des bibliothèques - de Georges-Vanier et d'ailleurs).